La Vallouise a-t-elle une identité ?
Citer
cet article
__________
C’est la
question que l’on peut se poser à l’entendre appelée assez souvent « la vallée
de la Vallouise » au lieu de « la Vallouise ».
La
présentation du projet IMAGINE sur la page Facebook de la commune de
Vallouise-Pelvoux
(1), “Souvenirs du
futur, un récit du territoire en commun pour La Vallouise”, justifie en
quelque sorte l’interrogation car elle reprend à plusieurs reprises
l’appellation « la vallée de la Vallouise » en contradiction avec le titre du
projet. Pourquoi ce besoin de préciser qu’il s’agit d’une vallée, ce que le nom
de « Vallouise » < Vallis loysia = « la vallée de Louis » (Louis XI, en
l’occurrence), indique clairement ?
La Vallouise depuis la Bâtie des Vigneaux
__________
Normalement,
l’évolution diachronique des noms de lieux va toujours dans le sens de la
simplification, qui se traduit souvent par l’omission de l’élément générique du
nom complet. C’est ainsi que l’on désigne plus souvent les cols d’Izoard, de
Granon et de Montgenèvre par « l’Izoard », « le Granon », « le Montgenèvre », au
point que lorsqu’on remet l’élément générique on se retrouve avec « col de
l’Izoard », « col du Granon », « col du Montgenèvre », avec introduction d’un
article inexistant à l’origine devant l’éponyme. « La vallée de la Clarée » est
communément désignée par « la Clarée », tout simplement. Même le « Pays des
Écrins » devient « les Écrins » (2), lorsque dans le département on parle des
communautés de communes : « le Briançonnais, les Écrins, … ». Pour beaucoup,
« le Mont Viso », « le Mont Pelvoux » sont simplement « le Viso », « le
Pelvoux ». Quand on cite ces lieux de cette façon simplifiée, il est malgré tout
clair qu’il s’agit d’un col, d’une vallée ou d’un sommet. Alors pourquoi le nom
« la Vallouise » ne sous-entend-il pas qu’il s’agit d’une vallée au point que
l’on soit obligé de le préciser ? Que ce soit pour les habitants, par oubli ou
rupture avec leurs racines, ou pour les nouveaux habitants, le plus souvent par
ignorance de l’histoire de la vallée.
__________
On se retrouve
là face à un grand classique de la toponymie qui a façonné tant de noms de lieux
à travers les âges : quand on a oublié la signification d’un nom, eh bien, on
lui accole un autre nom ou un élément générique qui lui correspond. C’est ainsi
que Montbardon comporte trois syllabes synonymes les unes des autres dans des
périodes et des langues différentes. « La Vallouise » étant une vallée, on lui
redonne donc le même élément générique ! Et c’est ainsi que l’on se retrouve
avec « la vallée de la Vallouise ».
__________
Si le second
phénomène l’emporte sur le premier, est-ce parce que l’identité de « la
Vallouise » ne saute pas ou plus aux yeux de ses habitants et de ses visiteurs
et qu’il faut la repréciser ?
Pourtant l'identité historique de
« la Vallouise » est indéniable, aussi loin que l'on remonte dans le temps.
Il s'agissait de la communauté de Vallouise qui comprenait les tierces de Ville
et des Vigneaux, de Puy et de la Pisse
(3),
et qui faisait partie de l'escarton de Briançon. Lors de la création des
communes au moment de la Révolution, l'ancienne communauté a été divisée en
quatre communes : Vallouise, Les Vigneaux, La Pisse, qui deviendra Pelvoux par
la suite, et Puy-Saint-Vincent, qui ont été rattachées au canton de
L'Argentière. Vallouise et Pelvoux forment aujourd'hui la commune nouvelle de
Vallouise-Pelvoux.
L'identité géographique l'est tout autant.
« La
Vallouise » correspond au bassin hydrographique de la Gyronde. C'est la
vallée de la Gyronde et de ses affluents, le Gyr et l'Onde, et non « la vallée
de la Vallouise »
! La puissante Gyronde
conflue avec la Durance à la Bessée.
C'est donc un
territoire briançonnais bien identifié aux riches patrimoines religieux et
vernaculaire. Son habitat ancien en particulier est caractéristique. Bien
que le français soit parlé depuis longtemps, son substrat linguistique est
occitan (4).
Son patois
commun à toute la vallée était une variété intermédiaire entre les parlers du
Briançonnais occidental (Briançon et alentours, caractérisés par des traits
spécifiques marqués), et ceux de l'Embrunais ou du Queyras. Toutefois sa
proximité avec les parlers voisins et sa quasi disparition
(5) ne permettent pas
d'en faire un
différenciateur identitaire.
Les fondements
de l'identité de « la Vallouise » sont donc solides. Son existence est attestée
dès le VIIIe siècle (6)
et son nom est ancien (XVe siècle) et n'aurait jamais dû subir cette remise en
cause.
__________
La question
posée est plus
importante qu’il n’y paraît au premier abord dans le cadre du projet IMAGINE car
c'est « la Vallouise » sur laquelle il faut travailler et qu'il faut mettre en
avant. Il ne faut pas commencer par banaliser le territoire et se couper
d’entrée de jeu de ses racines alors que le nom en est une composante
essentielle, au prétexte qu’on n’en comprend plus la signification.
Je veux dire
qu'en elle-même, la façon de bien nommer le territoire sur lequel on veut
travailler est un préalable indispensable. C'est le début de l'appropriation
: s'agit-il d'une banale « vallée de ... » ou de « la Vallouise » ? Il faut
commencer par affirmer son identité et en être fier. « La Vallouise », ça claque
et c'est unique ! « La Vallouise » permet une bonne identification du territoire
en lien avec ses racines historiques.
Songeons tout
de même qu'aujourd'hui on dit « la Clarée » quand on va dans « la vallée de la
Clarée » (7), alors que l'on renommerait « la Vallouise » en « la vallée de la
Vallouise » ?
C'est une
indication d'un gouffre de notoriété qui est en train de se creuser avec notre
complicité !
Ne plus
oser appeler la vallée par son nom révèle un problème majeur : perte de
notoriété, manque de confiance, doute existentiel..., que sais-je encore ?
Peut-être un acte manqué :
« la
Vallouise », oui, ma non troppo. Atténuons vite ce nom... Un doute
collectif se serait-il insinuer dans les esprits ?
__________
Dans un
article (8) et
une conférence (2017), la géographe Muriel Sanchez avait exprimé que la
confusion entre les différentes appellations du massif des Écrins (9)
expliquait en partie son manque de notoriété par rapport au massif du
Mont-Blanc. Ne laissons donc pas émerger un second nom pour désigner « la
Vallouise ».
Quand, sans l'avoir recherché, on dispose
d'un nom attractif sur un plan touristique, on ne va tout de même pas en
utiliser un autre à effet contraire. Cela reviendrait à se tirer une balle dans
le pied ! « La Vallouise » a une suffisamment longue expérience de la
mélioration de ses noms : Vallis puta > Vallis Loysia, « Mauvoisin » >
« Bonvoisin », « La Pisse » > « Pelvoux », pour ne pas maintenant les péjorer !
En conclusion, il faut revenir aux sources
et abandonner cet horrible pléonasme « vallée de la Vallouise ».
Les Vallouisards
(10)
doivent se réapproprier leur vallée pour lui redonner sa notoriété passée.
'Revallouisons'
« la Vallouise
» en revenant à ce nom naturel.
__________
Notes :
(1)
Article Facebook de la commune de Vallouise-Pelvoux, partagé sur
Vallouimages, 15 novembre 2021.
(2) Les éléments génériques sautent
d'autant plus vite que leur valeur informative est faible. C'est le cas de tous
les « pays », comme cela l'a été dans le passé avec les pagus.
(3) Pour être complet, les hameaux de la
Bessée Haute et de la Bessée du Milieu était rattachés à la communauté de
Vallouise avant la Révolution. La Bessée Basse et L'Argentière ne faisaient pas
partie du Briançonnais mais de l'Embrunais.
(4) Il n'y a que de faibles nuances de
prononciation entre les villages, ce qui ne permet pas de différencier des
patois locaux.
(5)
La
façon dont les noms de lieux sont triturés, notamment dans l'odonymie, et leur
perte de sens en attestent.
(6) Testament
du patrice Abbon (739).
(7) Il y a aussi plusieurs noms en lice
pour « la vallée de la Clarée » comme « la vallée de Névache », qui constitue
d'ailleurs aussi le même pléonasme « la vallée de la vallée », comme à « Vaulnaveys »
(38, deux communes) et à « Vaunaveys » (26). Cela crée aussi une certaine
confusion mais la notoriété de la vallée est telle que
« la Clarée » est en train de
prendre le dessus. Certains érudits ont même essayé
« la Navachie » : c'est vieillot, pas très porteur
ou attractif, mais les fondements étymologiques sont solides, l'accueil a été
poli mais l'usage l'a balayé.
(8)
Muriel Sanchez, « Le
massif des Écrins, représentations et valorisation d’une haute montagne alpine »,
Géoconfluences, novembre 2017.
(9) Paul Billon-Grand, « Massif
des Écrins ou massif de l'Oisans », Vallouimages, mai 2018.
(10) « Vallouisard » est un ancien
nom des habitants de la vallée.
,__________
Références :
...
__________
Pour accéder aux articles
sur les autres villages et hameaux de
la
Vallouise, cliquer sur les boutons :