Les Balcons du
Mercantour
Analyse et commentaires
Note
importante (1er mai 2015) :
Ces pages traduisent la situation qui
prévalait en 2008. Celle-ci a pu évoluer de façon plus ou moins
notable dans différents domaines, notamment concernant le Contexte
et l'état des gites et refuges à l'époque. En particulier, le gîte de
Bousiéyas, de sinistre mémoire, n'est plus qu'un lointain souvenir.
Il a fait place à un gîte entièrement rénové. Merci à la commune de
Saint-Dalmas-le-Selvage d'avoir effectué les travaux nécessaires
durant l'année 2013.
André Fonteny, Premier Adjoint au Maire,
de Saint-Dalmas-le-Selvage, explique : « Le gîte est resté fermé durant
la saison 2013 et n’a rouvert ses portes qu’en juin 2014. En effet,
après trois ans de travail pour monter un dossier qui soit validé par
l’administration, en particulier par le Parc national, et pour
rechercher les financements indispensables compte tenu des maigres
ressources de notre toute petite commune (le montant total du projet
dépassant les deux cents mille euros) nous avons entièrement rénové le
bâtiment et nous l’avons agrandi pour permettre au gérant de disposer
maintenant d’un logement. Le nouvel établissement est entièrement aux
normes pour pouvoir héberger quinze couchages avec un bloc sanitaire
adapté, dispose d’un chauffage, de l’eau chaude et possède une cuisine
bien équipée permettant de faciliter au gérant le travail de
restauration. »
Peut-être Vallouimages a-t-il
modestement contribué à la prise de conscience par la commune de la
contre-publicité que constituait le gîte de l'époque pour son
développement touristique.
Mis à part ce cadre et les rajouts en
vert, le contenu de la page est conforme à son édition de septembre 2008
en tant que document historique. |
Contexte
La montagne, et le Mercantour n'y échappe pas, souffre
d'une diminution préoccupante de sa fréquentation estivale et la politique
touristique du tout-ski-de-piste-hivernal a fait long feu. Une politique de
développement local cohérente doit donc nécessairement s'appuyer sur la
diversification de l'offre touristique et sur un rééquilibrage entre l'été et
l'hiver.
Le modèle des stations de ski à la française, type Auron
et Isola 2000, est particulièrement inadapté au tourisme estival et
singulièrement à la pratique de la randonnée.
La randonnée en montagne l'été ne fait plus recette. Ses
pratiquants ne se renouvellent pas et on assiste donc à un rapide
vieillissement de la population des randonneurs. L'approche de la randonnée est
devenue plus hédoniste. Finis les départs matinaux et les longs parcours,
bonjour les randonnées à la demi-journée, de préférence l'après-midi et sans
portage. L'auteur de ces lignes qui privilégie les
randonnées itinérantes, les départs à la fraîche et les longs cheminements
souvent hors sentier est donc devenu complètement ringard mais il l'assume !
Pour redresser la situation, l'association la
Grande Traversée des Alpes souhaite relancer à long terme la
fréquentation et les pratiques de la montagne estivale par des actions en
direction des jeunes et le développement d’un tourisme de montagne itinérant,
basé, en écho aux nouvelles attentes des vacanciers, sur la découverte du massif
alpin, l’assurance-qualité des itinéraires, des hébergements et la richesse du
patrimoine alpin, naturel et humain.
Le département des Alpes-Maritimes est confronté en été à une
côte surpeuplée avec un arrière pays qui profite nettement moins de la 'manne' touristique.
Il peut donc être réaliste d'essayer de mieux répartir population et
chiffre d'affaires liés au tourisme. Mais on doit relever que le Mercantour
semble faire exception côté fréquentation avec une augmentation des nuitées dans
les refuges du CAF et des portes d'entrée saturées.
Le Mercantour se caractérise par une offre d'hébergements
disparate. Plusieurs refuges d'altitude sont anciens et nécessitent une mise aux
normes de sécurité et une amélioration des conditions de vie des gardiens. De
façon générale le nord du massif a une offre indigne
avec le gîte
communal de Bousiéyas à Saint-Dalmas-le-Selvage
[en 2008, plus après 2014], situé à la fois
sur le tour de l'Ubaye, la traversée des Alpes et au futur
point de départ des Balcons du Mercantour, qui jouit d'une réputation
exécrable parmi les randonneurs.
Les parcs nationaux ont un rôle essentiel de protection de
l'environnement, non seulement dans leur cœur
mais aussi dans la zone optimale d'adhésion. Dans celle-ci, leur implication
portera sur la gestion des espaces naturels dans une optique de développement
durable et sur la mise en valeur des patrimoines naturels et culturels dans une
optique de tourisme de découverte.
La charte du PNM stipule : Les activités touristiques doivent
être orientées vers une offre de découverte et de ressourcement. Les pratiques
touristiques qui pourraient être autorisées à se développer devront ainsi être à
la fois innovantes et assurer une forte exigence de qualité environnementale.
Les aménagements touristiques nouveaux doivent rester exceptionnels et répondre
à un souci d’intégration dans le paysage et de réversibilité possible. Les
règles d’esthétique adoptées seront déterminées pour correspondre au caractère
du parc.
Dans ce contexte, le projet des Balcons du Mercantour
s'inscrit parfaitement dans la problématique signalée plus haut de développement
d'un tourisme de montagne itinérant non contradictoire avec l'optique de
tourisme de découverte du PNM.
Intérêt du projet
Une traversée itinérante d'ouest en est du massif du Mercantour est intéressante en elle-même. Se branchant sur la GTA, elle offrira même
une variante plus alpine au GR5, sauf transformation
complète des sentiers. En s'associant au réseau de
sentiers italiens, elle permettra diverses boucles de part et d'autre de la
crête frontière. En fait, l'itinéraire existe déjà : du Camp des Fourches à
Vens et au
Rabuons ; puis de Lagarot à Isola 2000 en suivant plus ou
moins la ligne de crête ; enfin d'Isola 2000 au Col de Salèse à partir
duquel il se confondra avec le GR52. Rien donc de bien nouveau et pas de quoi
crier au loup jusque là.
Néanmoins ce projet fait double emploi avec la
Traversée du Mercantour de Randoxygene du même Conseil
Général des Alpes-Maritimes, beaucoup plus variée et plus intéressante, qui
joue à saute-frontière et qui surtout évite le passage au dessus d'Isola 2000.
L'itinéraire à promouvoir serait plutôt celui-ci au prix de quelques
aménagements a priori minimes et de la réfection en général des mêmes
refuges côté France.
Points critiques
Les sentiers
Mais il n'y avait plus de chemin praticable entre Rabuons
et Lagarot, une sorte de chaînon manquant dans la traversée du
Mercantour, à supprimer en premier lieu. Je ne suis pas par principe contre
tout sentier, nouveau ou ancien rénové. Après tout, le nombre de kilomètres de
sentiers en déshérence est en augmentation constante dans les Alpes et la
montagne est de plus en plus sauvage en dehors des zones proches des stations de
ski. Alors une réfection ou une construction de sentiers ne me choque pas plus
que ça, surtout dans des secteurs où ils étaient nombreux autrefois. Des
sentiers existaient en effet entre Rabuons et Lagarot
sur les anciennes cartes.
Malheureusement, les
travaux en cours pour relier Rabuons et
Lagarot ont lieu en site vierge au lieu
d'utiliser les tracés des anciens chemins. Pire, le tracé passe à proximité
d'une station de l'ancien symbole du Parc
National du Mercantour (PNM), symbole déclassé pour mieux justement en
assurer la protection. C'est le triste résultat du manque de concertation et de
l'absence d'étude d'impact. Pourtant les compétences des agents du PNM auraient
pu aider.
Ensuite, ce sont bien les moyens destructeurs employés pour
réaliser les travaux qui choquent. Pour le chemin en question dont la largeur
semble être de l'ordre du mètre d'après les reportages, donc du type muletier
comme ceux d'autrefois, la saignée porte en fait sur près de 2 mètres de large,
parfois plus.
Suivant la nature du terrain, soit il n'y paraîtra plus grand chose d'ici
quelques années, soit ce sera irréversible. Donc à condamner dans ce cas.
Les refuges
La construction de refuges (1) n'est pas
non plus à condamner a priori. Il y a bien longtemps qu'un refuge ou un gîte
s'impose au Camp des Fourches, à la fois
sur le tour de l'Ubaye, la GTA et donc,
d'après le projet, au départ du futur sentier balcon, en plus ou en remplacement
du gîte communal de Bousiéyas, qui est
une véritable honte pour les collectivités locales
[en 2008, plus après 2014]. Donc que celles-ci prennent
enfin le sujet de l'hébergement des randonneurs en compte est plutôt une bonne
chose.
La réfection des refuges existants ne pose
évidemment pas de problème, ne serait-ce que pour la mise en conformité aux
normes de sécurité, l'amélioration du confort des gardiens et des utilisateurs.
La construction de nouveaux refuges en sites où existent ou existaient des
bâtiments ne mérite pas que l'on s'indigne (2). Une étude d'impact
environnemental est évidemment nécessaire au préalable.
Plusieurs refuges sont prévus en sites vierges. Là il faut réellement
s'interroger sur leur opportunité et si la réponse est positive en minimiser
l'impact au maximum dans le respect de la charte du PNM.
On peut d'ailleurs s'étonner du nombre de refuges prévus qui aboutirait à des
étapes de trop courte durée pour intéresser des randonneurs itinérants. Les
refuges prévus à Terre Rouge et à
Salèse (3) apparaissent superflus, mais un
pourrait à la rigueur être réalisé sous le Col Mercière versant Isola
à la place.
(1) J'emploie
le terme de refuge et non le terme d'hôtel
à * comme certains. En effet, l'analyse ne peut porter que sur le projet
lui--même et non sur les caricatures qui peuvent en être faites.
(2) A
ce sujet, on peut s'étonner de la position du SNE qui se focalise sur le
Camp des Fourches. Il prône la solution
du gîte communal de Bousiéyas dont la
réputation exécrable n'est plus à faire dans le monde des randonneurs.
[en 2008, plus après 2014].
(3) Sans doute sur le site
de l'ancienne bergerie de l'Agnelière (2053 m) vers la balise 269.
L'impact environnemental
L'impact environnemental des travaux en cours en site
vierge entre Rabuons et Lagarot est énorme et n'a manifestement
pas été pris en compte dans le projet.
Les terrains traversés sont des secteurs dans lesquels
vivent une flore et une faune très spécifiques et qui, en temps normal, sont
déjà soumises à des contraintes biologiques permanentes.
Au niveau de la faune, ces zones
d'altitude sont le domaine d'espèces comme le lagopède, le lièvre variable, la
bartavelle ainsi que le bouquetin. Pour survivre et se reproduire à de telles
altitudes, ces espèces ont besoin de tranquillité. lagopèdes et bartavelles sont
deux espèces dont les populations sont déjà menacées "naturellement"; en effet
lorsque les conditions climatiques du printemps sont défavorables (pluie/neige)
les couvées sont mises à mal. Le lièvre variable à lui besoin de tranquillité
durant la journée période durant laquelle il se gîte. Dérangé il devient la
proie des prédateurs. Quant au bouquetin, il a fallu une dizaine d'années pour
qu'une harde s'installe dans un secteur relativement isolé vers les Lacs
Lausfer, car pas facilement accessible, que le chemin va parcourir et où un
refuge est prévu.
Au niveau de la flore, l'itinéraire passe
dans des zones où poussent plusieurs espèces protégées, dont Saxifraga
florulenta et Primula marginata. Il est dramatique de constater la
destruction au brise-roche et à l'explosif du biotope de la première. Quant aux
pieds qui poussent encore à quelques mètres du chemin, leur disparition est
hélas programmée. Rappelons que Saxifraga florulenta est une fleur
endémique du massif du Mercantour dont la protection est totale au niveau
international dans le cadre de la Convention de Berne, et dont la
destruction est formellement interdite par la loi.
Les attendus
Les attendus du projet surprennent.
Notamment, un itinéraire de niveau international analogue au tour du Mont
Blanc ou à Chamonix-Zermatt. Ne rêvons pas, je connais bien tous ces
lieux. Les caractéristiques du Mercantour en sont bien éloignées.
Concernant la difficulté, certes le niveau
s'annonce aussi facile que celui du
tour du Mont Blanc, par contre les tours du Cervin et du Mont
Rose et Chamonix-Zermatt sont d'une toute autre envergure.
Les paysages sont de nature fondamentalement différente : pas de neige, pas de
glaciers, plus d'alpage bovin, toutes choses symboles de la montagne dans
l'inconscient. Donc c'est nettement moins attractif sans.
La partie centrale de l'itinéraire, entre
Rabuons et le Col Mercière offre un face à face avec les pistes et les stations d'Auron et d'Isola
2000 qui n'est pas du meilleur effet. L'impact négatif de la présence des
stations ne peut que nuire à son attractivité internationale.
Néanmoins le parcours est très loin d'être
inintéressant avec de très beaux sites caractéristiques du Mercantour et
il peut offrir la possibilité de multiples boucles en passant d'un versant à
l'autre.
Le marché de la randonnée sur plusieurs
jours n'est pas extensible, il est même très réduit. Certes, les gens randonnent
quand ils sont en montagne, mais sur quelques heures seulement, de plus en plus
l'après-midi et sans portage.
Les Balcons du Mercantour seront
sans doute mis aux catalogues de certains tour operators, ce qui assurerait une
fréquentation de base. Mais tout ce qui est aux catalogues ne part pas
forcément.
Regardons enfin un peu ce qui se passe
dans des coins similaires. Par exemple autour du Viso dont le tour d'une
toute autre notoriété n'est très fréquenté que durant quelques semaines en
juillet et août. Dès que vous vous éloignez un peu du sentier du tour classique,
il n'y a plus personne, les coins sauvages et secrets sont à vous et les
nombreux itinéraires annexes ont gardé tout leur caractère sauvage et toute leur
difficulté. De toute façon, dès fin août, il n'y a vraiment plus personne. Il en
sera de même dans le Mercantour.
Bref, ce ne sera ni la grande foule ni le
dysneyrando redoutés par certains. Il ne révolutionnera pas la
hiérarchie des randonnées sur plusieurs jours, ce sera simplement un itinéraire
de randonnée digne d'intérêt sans plus. D'ailleurs sa partie la plus
intéressante, le GR52 entre le Boréon et les Merveilles est déjà
la plus fréquentée frisant même la saturation au Refuge des Merveilles et
un détour par Frémamorte en Italie serait d'un autre niveau que le
passage par le Col Mercière à proximité des pistes d'Isola 2000.
La notion marketing de produit d'appel
recèle en elle-même une contradiction car, si les Balcons du Mercantour
sont un itinéraire de niveau international, ils ne peuvent être considérés comme
un produit d'appel mais au contraire comme le produit phare.
Enfin, on ne peut pas ne pas réagir à
l'évocation de la pratique de la montagne en
toute sécurité. Au pire affirmer une telle ânerie peut être dangereux et
justifier des recours en cas d'accident survenu sur le chemin. Un bon coup de
retour d'est ou un bon orage bien bruyant sur
les Ténibres avec quelques cailloux qui roulent et on reparlera de la
randonnée en toute sécurité pour la famille parisienne en espadrilles ... Je me
souviens aussi être descendu assez bas sur des névés sur le versant nord
de la Baisse de Basto une dernière semaine de juillet. Même un chemin
tracé à la chenillette n'enlèvera pas la difficulté dans ce genre de situation.
La forme
La forme est catastrophique
car elle donne le sentiment que la démarche utilisée vise au fait
accompli et à prendre de vitesse d'éventuelles oppositions. C'est curieux dans
un projet qui concerne un parc national et qui devrait donc de ce fait être
irréprochable dans la forme et le fond.
Elle indique par le choix de l'itinéraire
en cours de réalisation qui passe à proximité d'une espèce endémique qu'aucune
étude d'impact n'a été réalisée. D'ailleurs et ceci est particulièrement grave,
il apparaît au vu du communiqué de la FFCAM des Alpes-Maritimes du 19 septembre
que les travaux ont démarré sans attendre l'avis du comité scientifique du
Parc national du Mercantour afin d'en déterminer l'impact sur le
milieu.
La communication de lancement de son côté se révèle un échec car,
d'une part elle met avant tout en avant les dégradations irréversibles causées
aux espaces naturels et la débauche de moyens utilisés et d'autre part les
déclarations convenues et contradictoires des uns et des autres balançant entre
le produit d'appel et le produit de notoriété international laissent
l'observateur dubitatif.
La procédure UTN aurait dû être appliquée pour un tel chantier
avec un budget aussi important (18 millions d'euros), qui porte sur 140 km de
sentiers et concerne 14 refuges et qui met en oeuvre des moyens lourds et
destructifs.
Conclusion
En définitive, sans s'opposer complètement
au projet, intéressant pour la traversée du massif qu'il propose mais dont
l'ambition excessive fait sourire, il est indispensable de le replacer dans une
démarche visant à en faire un vrai modèle de développement durable
(Pour rappel, le
développement durable inclut une triple approche : environnementale, économique
et sociale).
Une telle démarche suppose de :
- développer la concertation impliquant les différents acteurs concernés en
particulier le PNM dont la charte devra servir de trame au projet ;
- minimiser l'impact environnemental des chemins tracés, en éliminant les
méthodes destructives, en se limitant à l'emprise d'un chemin piétonnier de
l'ordre de 50 cm, en utilisant au maximum les tracés anciens et existants, et en
évitant les site vierges sensibles ;
- utiliser au maximum les refuges existants et n'en construire de nouveaux qu'en
respectant rigoureusement la charte du PNM qu'ils soient situés dans ou hors du
cœur du PNM : Les aménagements touristiques
nouveaux doivent rester exceptionnels et répondre à un souci d’intégration dans
le paysage et de réversibilité possible. Les règles d’esthétique adoptées seront
déterminées pour correspondre au caractère du parc.
Un parcours intégralement situé dans le
PNM dans le respect strict de sa charte renforcerait notablement la notoriété
des Balcons du Mercantour ... et confirmerait la détermination écologique
vacillante de ses promoteurs.
Mais en fait n'est-ce pas plutôt
la
Traversée du Mercantour de Randoxygene du même Conseil
Général des Alpes-Maritimes, beaucoup plus variée et plus intéressante,
qui devrait être le produit recherché ? Ce parcours illustre mieux le
caractère transfrontalier des hautes vallées et apparaît beaucoup plus propice à
une notoriété internationale.
Vallouise, le 12 septembre 2008
Première version |
Dernière version |
Dernière correction |
Septembre
2008 |
Mai 2015 |
Mai 2015 |