Les noms de la pomme de terre
Tartifle, patate et truffe
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Lors d’une discussion récente sur internet, un de mes interlocuteurs me
fit remarquer que : « Les tartifles sont exclusivement
savoyardes, pas même arpitanes (on préfère trufa). En piémontais
on parle plutôt de pom ëd tera ou de trifola. »
Alors que j'avais dit
que, dans la tartiflette-à-touristes, on a oublié que les
tartifles, au nom d'origine piémontaise, ce sont les patates !
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Eh bien non, les
tartifles ne sont pas « exclusivement savoyardes », ni même exclusivement
francoprovençales, elles sont aussi provençales, bourguignonnes, jurassiennes,
lyonnaises, auvergnates, etc., et bien sûr piémontaises, puisque, grâce au port
de Gênes, les pommes de terre, accompagnées de leur dénomination, se sont
diffusées à partir du Piémont dans nos régions.
Le sujet est
complexe, car (i) la couverture géographique du nom est discontinue, (ii)
d’autres dénominations coexistent en un même lieu, (iii) les déformations sont
multiples, (iv) des confusions avec d’autres plantes sont possibles,
tartifle correspondant aussi au topinambour, qui a des tubercules également
comestibles (d’où son autre nom de « truffe du Canada »).
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La pomme de terre est une
plante qui s’est diffusée à
partir du XVIe siècle. Pour nos régions, elles nous sont arrivées depuis le
Piémont, à partir du port de Gênes, où leur nom était
taratuffli ou tartuffoli (cités en 1596) (1),
« petites truffes », diminutifs de « tartufo », « truffe »,
issu du latin terrae tuber = « truffe de terre ». Le dictionnaire
piémontais-français de Louis Capello (1814) a l’entrée : Tartoufle o tartifle
= « pomme de terre » (2).
Le nom s’est diffusé avec la
culture de la « truffe de terre ». Vers les pays de langues germaniques, il a
évolué en tartuffel, cartoffel, kartoffel. Il est revenu en
France, en kartofle, catofle ( à Lyon), catoufle,
cartoufle, etc., les variantes locales sont multiples.
Parmentier, nourri aux
kartoffel durant sa captivité en Allemagne, les a popularisées à son retour
à Paris, d’où, un temps, leur nom de « parmentière » qui échoua à s’imposer.
La diffusion vers le sud de
la France a donné toutes les formes en tartifle, tartoufle,
tartoufe, tarteufe, tarteufle, etc., même tartouille,
et aussi la série des noms en trifole.
Dans l’ouest, c’est le
nom
« patate » qui domine. Au départ, il désignait la « patate douce », il nous est
arrivé du Canada. C’est une autre histoire.
De façon plus générale, dans beaucoup
de dialectes et patois, c’était tout simplement « truffe », trufo, trufa,
en occitan, de la variante latine tufer, -eris = « truffe », du latin
classique tuber, -eris = « tumeur, excroissance, bosse, truffe ».
L'élargissement vers « truffe » étant
métaphorique,
aussi bien pour la pomme de terre que pour le champignon, le bulbe de
cyclamen, l’aristoloche, le topinambour.
« Du
mot trufa on faisait trufièra (champ de pomme de terres), mais
aussi toute une série de termes argotiques tels que trufariá (moquerie,
raillerie, arnaque), se trufar (se moquer, railler, tromper, embobiner,
arnaquer, frauder), trufaire ou trufandier ou encore trufarèl
(filou, fraudeur, moqueur...).
[ En français aussi, le mot « truffe »
est riche en sens figurés. Sans oublier, « tartuffe »,
qui
découle
directement du nom italien. ]
Une
« truffade »
est un
plat traditionnel auvergnat préparé à l'origine dans les
burons et composé de pommes de terre et de tome fraîche de cantal cuites sur le
feu.
La
« truffe »,
le champignon, se disait rabassa ou trufa nièra. »
(3)
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Aujourd’hui, tartifle a quasiment disparu, même si la
tartiflette-à-touristes l’a un peu relancé en Savoie, alors que « patate »
et « pomme de terre » se sont imposés, le premier passant pour être plus
familier et ayant franchi les frontières.
Désolé, donc, pour mes amis et parents savoyards, d’avoir sabré une idée fausse
qui limitait les tartifles à la Savoie.
Le terme générique truffe lui aussi n’est plus guère employé, même s’il
résiste dans les parlers locaux. Pourtant « pomme de terre » est un terme large
qui désignait plusieurs plantes tubéreuses, sur le modèle malum terrae =
« pomme de terre », le bulbe du cyclamen, l’aristoloche (liane herbacée qui
passait pour faciliter les accouchements), le topinambour.
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Notes :
(1)
Ernest Roze,
Wikisource, ch. 2, [88].
(2)
Louis Capello, Dictionnaire portatif piémontais-français suivi d'un
vocabulaire ..., Volume 1, Turin, 1814. Entrée Tartoufle o tartifle,
p. 486 ; entrée Trifoula truffe (champignon), p. 515.
(3) Communication de Nicolas
Colomban, Villar-Saint-Pancrace.
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Références :
Marcel Lachiver, Dictionnaire du monde rural, les mots du passé, Fayard,
1997. Entrée « truffe », p. 1650.
Charles Bruneau, « Les noms de la pomme de terre en Belgique romane », Études
de dialectologie romane: dédiées à la mémoire de Charles Grandgagnage,
Slakine reprints, 1980, p. 55-78. Réimpression de l’édition de Paris, 1932.
En ligne. Il manque des pages, mais l’essentiel des noms y est et
concerne également la France.
Ernest Roze, Histoire de la pomme de terre, Paris, 1898.
Joël Ferrand, La Truffole une tradition : De l'ombre à la lumière,
Saint-Alban-d'Ay berceau de la Truffole en France,
truffole.com.
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Abréviations et
Bibliographie
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