Vallée de la Clarée ou
Vallée de Névache
La vallée est appelée indifféremment soit
vallée de la Clarée soit vallée de Névache. On entend
ou on lit même parfois le nom de Névachie - terme érudit peu élégant et
d'ailleurs peu usité, mais non sans fondement. La Clarée est le nom du cours d'eau qui parcourt la
vallée. Névache est le nom du village emblématique de la vallée. C'est
aussi son nom d'origine - Annavasca valle
en 739.
Aujourd'hui, ce sont avant tout des appellations
touristiques, également fondées selon que l'on prend le nom du cours d'eau ou
celui du village principal, même si les géographes préfèreraient la première
version qui s'applique à la vallée sur toute sa longueur, alors que l'aval est
Val-des-Prés.
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L'appellation Clarée
est beaucoup plus récente, ses premières indications
remontent aux cartes du XVIIIe siècle : sur les minutes
au 1/14 400 de la carte de Bourcet de la Saigne (v. 1750) - la Clairé ; sur la carte de
Cassini
en 1779 - la Claire. On trouve aussi
le Claret, le Clairet, la Clairée sur
les anciennes cartes.
Au premier abord, on pourrait penser que ce nom lui vient de la clarté remarquable
de ses eaux.
On peut plutôt le rattacher à
un nom local que l’on
retrouve aussi du côté de la vallée piémontaise de la Doire, dans le Val
Clarea parcourue par la Clarea, C’est un faux ami, car il
est à rattacher au latin glarea qui signifie ‘caillou, gravier,
gros sable’, de la racine *CAR, *GAR = ‘pierre, roche’ et à
l’origine du mot « glarier » qui a les sens de ‘dépôt de galets, graviers, sable
le long des cours d’eau ou en avant des glaciers en retrait, délziddée
glaciaire’. En occitan, glaïra signifie ‘gros gravier’ [Honnorat].
On est bien loin de la remotivation touristique actuelle construite sur un
contresens. Loin d’être louée pour la clarté de ses eaux, la Clarée était vue
(et redoutée…) comme une rivière qui arrachait, transportait et déposait
graviers et sable.
Auparavant elle était simplement appelée
littéralement l'Eau de Névache - Aqua de
Nevachia en 1317, Aqua Nevachie et
Aqua
Nevachete en 1347, Aqua Nevachie en 1379 et
1426
[Roman
(J)].
Les documents cartographiques
des XVIe et XVIIe siècle
lui donne le nom de Druenza en distinguant une
Druenza magna - notre belle Clarée, et une
Druenza piccola - la minuscule Durance
actuelle [Pedemontana regio - Mercator
(1589), carte du Dauphiné
- Tassin (1634), Sanson d'Abbeville (1641,
1648, 1652), Borgonio (1680)]. Pas de confusion,
la Durance n'a pas emprunté son nom à la Clarée,
mais l'a au contraire imposé au cours d'eau affluent.
Comme en Vallouise,
le
nom Durance s’appliquait également à la rivière
principale et à son affluent.
Une carte du XVIIIe siècle, la nomme la Claire en
amont de Plampinet et la Dure en aval. La
même carte désigne la Guisane sous le nom d'Ance
et nomme enfin Durance la réunion des deux cours
d'eau en aval de Briançon [Rostolland (H),
1930] !
Pour les locaux, notre rivière est longtemps restée
simplement l'Aïgue, l'Eau, voire la
Grand' Aïgue, la Grande Eau. Elle prend sa
source
à la Mère de l'Aïgue et traverse le
Plan de l'Aïgue à Fontcouverte.
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L'appellation Annavasca ou Annevasca
remonte au contraire à la nuit des temps. Elle a même peu varié dans le
temps : Annavasca en 739 (testament du
patrice Abbon), Nevasca en 1118,
1158 et 1183, Nevascha en 1225, Nevachia
en 1330, Nevasia en 1334, Novachia en
1358, Navaysse en 1568 [Roman (J)] Neuvache
au XVIIIe siècle [Bourcet de la Saigne, v. 1750 ;
Cassini, 1779], mais aussi
Navaschia au XIe siècle -
Castrum de Navaschia, Navissia,
Navaychia,
Navasche, Navascha en
1343 -
Condominus de Navascha, Naveichia, et,
même Nepvache [Bouquier (S)].
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La
tradition érudite [Rostolland (H), 1930] et la
facilité donne le sens de « vallée enneigée » à la
vallée de Névache à partir de Annavasca valle
et sa variante Annevasca valle, n'hésitant pas à
associer le latin NEV- < latin NIX, NIVIS = neige
au suffixe -ASCA.
Hypothèse rejetée par les toponymistes, pour son
incohérence linguiste, qui avancent au contraire
l'hypothèse à partir d'un nom d'homme gaulois AN(N)AVO
ou romain AN(N)AVUS + suffixe -ASCA
[Dauzat-Rostaing
(1983), Bouvier (2002), Faure (1998),
Nègre - § 1234 (1990)] en donnant au suffixe le sens
de propriété, « la ferme de An(n)avo », en quelque
sorte, en repartant sur une nouvelle incohérence
temporelle.
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Plus vraisemblablement, [Bouquier (1974)]
l'étymologie est à rechercher du côté du radical
hydronymique préceltique *NAV- > *NAVA = « vallée à fond plat, circulaire ou
semi-circulaire », associé au suffixe -ASCA que
l'on retrouve en de nombreux lieux :
crêtes de Naves, signal de Naves,
Navacelles, Nabas, Nages, la
Navisanche, Antonaves, Navette,
Navas, ... Bien que
Dauzat-Rostaing et Faure aient repéré ce
radical auquel ils donnent
le sens de « plaine, plateau », bizarrement
ils ne l'appliquent pas à Névache.
Ceci confirme une constante de la toponymie, les anciens
noms utilisés pour désigner respectivement une montagne,
une rivière, une vallée, ... comportent le sens de
montagne, rivière, vallée, ... , et ce d'autant plus que
l'appellation est ancienne !
Annavasca, Névache, c'est la « vallée à
fond plat ». Même valle est déjà de trop, mais
en 739, le sens d'origine était peut-être déjà perdu.
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Pour
Dauzat-Rostaing,
*NAV-, *NEV-, *NIV- sont trois variantes vocaliques
du même radical hydronymique pré-indo-européen *NAV- à
l'origine de nombre de cours d'eau :
Les voisines, la Névache ou Neuvache et
la Névachette ou Neuvachette à
Valmeinier et Valloire. L'homonyme, la
Navaccia, affluent de la Tartagine en
Corse et un autre Navaccia, au bord du Lac
Trasimène en Ombrie (Italie). Et même deux
que l'on ne peut soupçonner d'avoir un lien quelconque
avec la neige : la Nièvre, affluent de la
Somme -
eaue de Neve en 1267,
et la Nièvre, affluent de la Loire
-
Nevera autrefois.
Ernest Nègre dans sa TGF donne plusieurs exemples
de noms de lieux remontant au radical *NAVA = « vallée,
auge », qu'il donne comme préceltique mais déjà
indo-européen. Comme
Dauzat-Rostaing, il rate le coup pour Névache,
préférant un très hypothétique patronyme intemporel.
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Références
Bouquier, 1974 : BOUQUIER (S) - Guide
historique et touristique de la vallée de Névache.
Bouvier, 2002 : BOUVIER (JC) - Noms de
lieux du Dauphiné.
Dauzat, Rostaing, 1983 - DAUZAT (A),
ROSTAING (C) - Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France.
Faure, 1998 : FAURE (A) - Noms de lieux et
noms de familles des Hautes-Alpes.
Ferrand : FERRAND (H) - Le Pays
Briançonnais - De Briançon au Viso, la vallée de Névache et le Queyras.
Gros, 1935 : GROS (A) - Dictionnaire
étymologique des noms de lieux de la Savoie.
Nègre, 1990 : NEGRE (E) - Toponymie
Générale de la France, TGF.
Romagne, 1981 : ROMAGNE (Abbé L) -
Églises et Chapelles de Névache.
Roman, 1884 : ROMAN (J) - Dictionnaire
topographique du département des Hautes-Alpes.
Rostolland, 1930 : ROSTOLLAND (H) -
Névache et la vallée de la Haute-Clarée.
Sentis, 1982 : SENTIS (G) - Névache et sa
vallée.
Toponymie de la Clarée
- Étude et
Étymologie des noms de lieux de la Clarée.
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