Les opérations
archéologiques de prospection - inventaire et de fouilles menées depuis 1998
dans la Vallée de Freissinières
ont complètement renouvelé les connaissances sur l'occupation humaine en
altitude dans la région.
La prospection
systématique réalisée en 1998 avait déjà permis d'inventorier 80 sites -
vestiges de structure bâtie - ou indices de sites - aménagements mal définis
imputables à l'homme. Leur répartition entre les périodes historiques donnait la
prééminence aux sites modernes et contemporains, avec très peu d'indices de
sites protohistoriques et médiévaux et aucun de l'antiquité.
Protohistoriques : 4,
médiévaux : 4, XVIe - XVIIIe s. : 23, XVIIIe -XIXe s. : 30, XIXe - XXe : 6,
indéterminés : 13
L'occupation de la vallée
semblait donc plutôt tardive, après le Moyen Âge. Pourtant des vestiges
de l'âge du bronze
- un torques en argent massif, plusieurs colliers et bracelets de cuivre -
avaient été trouvés par hasard à
Pallon, sans possibilité d'identification de sites et attestait la présence
humaine à cette époque, au moins à l'aval de la plaine de Freissinières
alors noyée derrière un barrage rocheux résultant du glissement des versants.
Même la présence de la station de Rama le long de la
Durance et la voie prétendument romaine montant à
Champcella n'ont pas induit de site archéologique prouvant de façon
certaine l'occupation de la vallée. La tradition qui voulait que ce furent des
Lombards défaits qui fondèrent
Dormillouse en 524, indiquait malgré tout une occupation ancienne de la
haute vallée. Pourtant l'ancienneté du nom
- racines oronymiques
pré-indoeuropéennes DOR et MEL - plaidait déjà pour une occupation antérieure -
ligure ? - de près d'un millénaire ! (?).
Par contre, l'explosion
démographique et l'occupation de la haute vallée sont certaines à l'époque
moderne - largement confirmées par le nombre de sites -
et même avant, Faravel
(en 1170 et en 1401), Freissinières (en 1210), les Roberts
(en 1360), Dormillouse
(en 1401), par exemple, sont connus et cités - un site médiéval identifié où
furent trouvés des céramiques du XIVe siècle se situe d'ailleurs au
lieu-dit la Bastie, à l'ouest de Dormillouse. Une position
défensive, vu le nom ?
Les résultats des fouilles
effectuées de 1999 à 2003 (dernière publication) ont complètement bouleversé ce
schéma traditionnel et mis en évidence des passages et ensuite une occupation
humaine bien plus anciens que ce que l'on pouvait imaginer précédemment.
Il est intéressant de
noter que des recherches similaires entreprises côté Champsaur vont dans
le même sens.
Les sites des fouilles
sont tous à plus de 2000 m, sur la Montagne de Faravel et en contrebas à
Fangeas, et, dans le Vallon de Chichin indiquant une
occupation de l'espace en altitude. Pas ou peu de sites sont répertoriés
dans la Combe
- enfouis ?, vers le Plan - noyé avant le haut Moyen Âge - ou la
Poua - sous
les constructions existantes ?.
Les observations locales
ont permis d'inventorier de nombreux sites ou indices de sites supplémentaires
et ... toujours plus hauts !
Les plus anciennes traces
de passage sur la
Montagne de Faravel à plus de 2300 m datent de la fin du Paléolithique
supérieur, c'est-à-dire dès la fin de la dernière glaciation, il y a
quelques 12000 ans. Il s'agit d'un bond fantastique dans le passé : des hommes
déjà modernes, sans doute chasseurs, auraient parcouru les hauteurs au passage
du Pléistocène à l'Holocène. C'est tellement extraordinaire que
les chercheurs qui ont trouvé les deux petites pièces de silex de cette époque,
indices bien ténus,
sont d'une prudence de sioux dans leurs conclusions ! Pour situer le fait, l'homme
de Similaun, le fameux Ötzi, mourut 8000 ans après ces premiers
visiteurs. En fait, on ne peut pas espérer remonter plus loin dans le temps, on
est à la limite possible pour disposer de vestiges ou d'indices, puisque les
glaciers venaient juste de se retirer. Ils ne devaient d'ailleurs pas être très
loin et le climat devait être encore bien rude à cette époque ... mais la
Montagne de
Faravel a la meilleure exposition de la vallée, ceci expliquant le nombre de
sites archéologiques inventoriés.
Le Mésolithique,
beaucoup plus chaud - sans doute plus qu'aujourd'hui - et donc particulièrement
favorable à la fréquentation de l'altitude a vu le passage saisonnier de
chasseurs - cueilleurs, toujours sur la Montagne de
Faravel.
Le pastoralisme
apparaît au Néolithique, dans le Vallon de
Chichin
vers 2100 m, et, sur le Plateau de
Faravel encore. Les premières installations temporaires avec production
locale d'outils datent sans doute de cette époque. Le Vallon de
Chichin vers 2100 m a alors une végétation arborée et arbustive,
semblable à celle de l'étage subalpin actuel, éricacées, mélèzes, pins cembros,
...
Les plus anciens
charbons de bois datés au
14C sont de l'âge du bronze ancien, 3000 ans avant notre ère. Une
cabane, un enclos pastoral à Faravel à plus de 2300 m, où ne se
rencontrent plus que des pins cembros, ont été fréquentés à cette époque. Sans
doute, aussi le Vallon de
Chichin à
plus de 2200 m avec une activité pastorale d'altitude. La végétation
environnante comporte ici mélèzes, pins cembros, genévriers et bouleaux.
Faravel encore est
occupé au 1er âge du fer à 2150 m. Les environs sont arborés,
pins cembros et mélèzes.
Les gallo-romains
montent jusqu'à 2450 m, au 1er siècle de notre ère, installer une
cabane pastorale sur la Montagne de Faravel. Seuls les pins cembros
poussent encore à cette altitude, les mélèzes ont quasiment disparu.
Pas de site identifié
à la fin de l'Antiquité
et à l'époque - VIe siècle de notre ère -
de l'installation présumée des
Lombards à Dormillouse,
ce qui porte un coup
sérieux à la légende de la fondation de Dormillouse par les
Lombards.
Regain d'activité en
altitude au Moyen Âge. D'abord au Haut Moyen Âge - VIIIe
siècle - à
Fangeas, puis à l'époque médiévale - du XIIe au XVe
siècle - sur
la Montagne de Faravel
sur un site déjà occupé au Néolithique et à
Fangeas, à nouveau. Mais là, l'exploitation d'une mine de plomb
argentifère se rajoute à l'activité agricole (fauche et non pastoralisme).
Les conditions climatiques
changent durant cette période. Le petit optimum médiéval - alias POM - commencé
au début du IXe
siècle, culmine au XIIIe siècle, "le beau XIIIe siècle
estival" de Emmanuel Le Roy Ladurie, sec et chaud - plus chaud
qu'aujourd'hui ! - avec une forte poussée démographique et des conditions de vie
très favorables en altitude - du moins pour l'époque. Il se termine aussi avec
le siècle.
Le XIVe siècle,
lui, marque le début du premier hyper-PAG, petit âge glaciaire, avec son cortège
de pluies, mauvaises récoltes, famines, fortes mortalités, guerres, peste noire,
forte mortalité à nouveau, et j'en ai peut-être oublié ... Bref, un sale temps,
pas forcément beaucoup plus froid, mais qui s'est vite traduit par une première
poussée des glaciers. Encore que les mauvaises conditions générales surtout
décrites au nord ont pu être atténuées dans le sud. Pour ce qui nous intéresse,
le changement climatique et les difficultés de l'époque n'ont pas interrompu
l'occupation des sites d'altitude.
Les analyses des charbons
de bois ont également permis une meilleur connaissance de la végétation
d'altitude autour des différents sites. Il ressort que la limite supérieure de
la végétation arborée se situait à des altitudes bien supérieures à celles
d'aujourd'hui, et ce, du
Néolithique au Moyen Âge.
Grosso modo, mélèzes et
pins cembros faisaient jeu égal entre 2000 m et 2200 m, puis le pin cembro
prenait peu à peu le dessus au point d'être le seul arbre poussant à plus de
2300 m et jusqu'à 2500 m.
L'arolle ou pin cembro
était donc l'essence reine à l'époque, en des endroits où il n'est plus présent
aujourd'hui, ou à l'état de relique comme c'est encore le cas au pied du Mont
Viso dans la Haute Vallée
du
Guil. Son nom est encore très présent dans la toponymie du Queyras et
des vallées piémontaises, alors qu'il est absent de la toponymie locale,
laissant penser à une disparition assez ancienne.
L'ancienneté de
l'occupation mérite d'être confrontée à l'ancienneté des toponymes. Les Quatre
principaux du secteur Faravel, Palluel, Pinier (Grand
et Petit) et Dormillouse relèvent parfaitement le défi, tous issus
de racines pré-indoeuropéennes :
Dormillouse -
Dormillosa en 1401, Durmelho en 1478 - provient des deux racines
oronymiques pré-indoeuropéennes DOR et MEL, plutôt que d'une désignation de la
marmotte - localement MURET < latin MUS, le rat.
Faravel
- Falavello en 1170 et 1401 - provient de la racine FAL, elle-même
possible variante de la racine PAL, signifiant toutes deux hauteur,
rocher. Dauzat Deslandes Rostaing
rajoutent un double suffixe AV-ELLUM, mais il s'agit peut-être tout simplement
d'une tautologie avec la racine pré-indoeuropéenne VAL, VEL, encore une
autre variante de FAL, signifiant aussi hauteur, rocher.
Palluel : en plaine
ou vallée humide, on pense à PALUD, le marais et Palluel serait le
petit marais. Problème, il n'y a pas de marais aux alentours, mais un beau
lac glaciaire en altitude, sur les rochers, pas marécageux pour deux sous, y
compris sur les pentes inférieures. Comme Faravel tout proche, Palluel
pourrait être une autre variation sur la racine PAL, hauteur, rocher,
peut-être même également tautologique, une variante du même nom, en quelque
sorte.
Pinier (Petit
et Grand), les deux sommets phares du secteur, surtout le Grand Pinier,
dans l'axe de la vallée. Si son deuxième nom, Pic Brun, peut se
comprendre d'après la couleur de ses roches, Pinier ne peut provenir du
pin, - même si il y a eu attraction - mais plutôt d'une variante de la
racine encore pré-indoeuropéenne PEN, montagne,
hauteur, rocher. À noter que Pic Brun
et Rochebrune se font face dans l'axe de la Vallée de Freissinières.
Pin cembro
est le nom savant de l'arolle, appelé alève dans la région avec de
multiples variantes locales.
Ouvrages consultés
Baridon, 1934 : BARIDON (F) - Le Val de
Freissinières, Monographie communale
Baridon et al, 1989 : BARIDON (H),
LEROY (Y), CARLIER (P) - Sur les traces des bergers et chasseurs de Dormillouse
Dauzat et al, 1982 : DAUZAT (A),
DESLANDES (G), ROSTAING (C) - Dictionnaire étymologique des noms de
rivières et de montagnes en France
Faure, 1998 : FAURE (A) - Noms de lieux &
noms de famille des Hautes-Alpes, Espaci Occitan
Le Roy Ladurie, 2004 : LE ROY LADURIE (E)
- Histoire humaine et comparée du climat - Canicules et glaciers - XIIIe
- XVIIIe siècles- Fayard
Roman, 1884 : ROMAN (J) - Dictionnaire
topographique du département des Hautes-Alpes, Lacour/Rediviva, rééd. 2000
Rousset, 1988 : ROUSSET (PL) - Les Alpes
et leurs noms de lieux - 6000 ans d'histoire ?
Ségard et al, 2003 : SEGARD (M), WALSH
(K), COURT-PICON (M) avec la collaboration de MOCCI (F), PALET-MARTINEZ (J) -
"L'occupation de la haute montagne dans les Alpes occidentales : apport de
l'archéologie et des analyses paléoenvironnementales", dans Permanences et
changements dans les sociétés alpines, BOËTSCH (G), DEVRIENDT (W), PIGUEL (A) (Dir.),
Actes du Colloque de Gap (juillet 2002), Edisud, 2003, p. 17-30
Walsh 1998, 1999, 2000, 2001, 2002, 2003 :
WALSH (K) - Rapports de prospection-inventaire et différents Documents Finals de
Synthèse
Site internet de l'Université d'York :
History
and archaeology of human activity in
the southern French Alps
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