Un exceptionnel retour d'est est survenu tout le long de la frontière avec l'Italie
du 15 au 18 décembre 2008. De très fortes précipitations se sont produites,
notamment le 16 décembre, sur tout le versant italien des Alpes du
Mercantour au Simplon, et en particulier sur le Massif des
Ténibres, la haute Ubaye, le Mont Viso, situation
paroxystique, le haut Queyras, la basse Clarée et la haute
Maurienne.
Durant tout la journée du mardi 16, il est
tombé 150 cm de fraîche sur le versant italien du Montgenèvre (Cesana),
200 à 300 cm à Ristolas selon les endroits (est-Queyras) au
rythme de 20 cm à l'heure, 100 cm jusqu'à Névache ou 250 cm à
Isola 2000. En moyenne, on peut estimer la hauteur de neige fraîche sur
une zone de 5 à 10 km de la frontière à 1,5 mètres voir 2 mètres. Ces
hauteurs dépassent les 2,5 mètres sur le haut Guil, voire plus sur
le Viso où il serait tombé près de 3,5 mètres.
La poussée de
retour d'est s'est fait sentir depuis le Queyras jusqu'à Mont-Dauphin qui aurait eu plus de neige que
Briançon,
la Roche-de-Rame à quelques kilomètres n'ayant pas eu
grand chose. Dans le même temps, il y a eu absence totale de neige sur le
secteur la Grave - Villar-d'Arène en raison d'une trop forte
lombarde fœhnée.
Cette neige s'est ajoutée à des cumuls déjà
conséquents résultant d'une succession de perturbations atlantiques avec de
l'air froid de fin novembre à début décembre (neiges abondantes et froides
sur tous les massifs français), et surtout d'un retour d'est déjà important
le 10 décembre qui avait fortement augmenté la couche de neige. Celle-ci est
restée très instable et rappelle un peu celle de fin décembre 2005.
Dans la vallée de la Clarée, la neige
est surtout tombée du Mont Chaberton aux Accles et plus
modestement en remontant vers l'ouest et la haute Clarée. D'ailleurs
Valloire est comme la Grave, presque sans neige. Contrairement à la haute
Maurienne le long de la frontière, la moyenne Maurienne n'a pas
eu beaucoup de précipitations. Un bel exemple d'effet de fœhn
comme il y en avait eu un en juin 2000.
Du 20 novembre au 18 décembre, Briançon
a dépassé les 100 millimètres d'eau dont 50 sur ce fameux retour d'est.
D'ailleurs alors qu'il tombait 27 cm de neige à Briançon, il n'en
tombait que 12 cm à la Salle les Alpes. Les disparités se font sur
quelques kilomètres seulement et le tracé est parallèle à la frontière
italienne.
Après une première fermeture la semaine
précédente, la route d'accès à Névache a été à nouveau fermée le
mardi 16 décembre à 10 heures entre Plampinet et Névache.
Heureusement car une énorme avalanche descendue du Guion a coupé la
route dans l'après-midi sur 400 mètres et huit à dix mètres de hauteur. La
route a été complètement recouverte par deux avalanches en amont et en aval
du Pont de Fanager. L'une d'elle a même déviée un court temps le
cours de la Clarée sur la route.
La circulation a également été interrompue
entre Val-des-Prés et Plampinet devant les forts risques
d'avalanche dès le le Pont de la Draye franchi. Il a fallu purger
toutes les pentes de Pécé à l'aide d'explosifs lancés d'hélicoptère.
L'avalanche déclenchée par les tirs a été colossale : 200 mètres de long,
sur plus de 10 mètres de hauteur, 20 en certains endroits. L'accès à
Plampinet et à Névache a à nouveau été rendu possible dans la
journée du vendredi 19 décembre au grand soulagement des habitants.
Le Col de Montgenèvre est resté lui
aussi fermé du lundi 15 au samedi 20 décembre à cause des forts risques
d'avalanche sur le versant italien. Plus de 6 mètres de neige se sont
accumulés dans les couloirs descendant du Chaberton, rendant
illusoire la protection des paravalanches.
La situation a aussi été critique dans le
haut Queyras, vers Abriès et Ristolas, où les routes, les
lignes électriques et les liaisons téléphoniques ont été coupées avec de
nombreuses avalanches en amont d'Abriès sur la route d'accès au
Roux et encore plus vers Ristolas, la Monta et l'Echalp.
L'évacuation de Ristolas, dont une maison a été touchée, a même été
envisagé.
Malgré l'ampleur des moyens mis en
œuvre, il a fallu plusieurs jours pour
rétablir l'électricité et le téléphone. L'accès par la route à Ristolas
n'a été de nouveau possible que le samedi, jute pour l'arrivée des premiers
vacanciers.
Le retour d'est a connu sa pénétration
maximale dans le Queyras, car l'Aigue Agnelle et la vallée de
Ceillac pourtant en retrait de l'axe sommital ont été très arrosées.
Les hameaux du Coin, de Pierre Grosse et de
Fontgillarde ont été isolés, 50 habitants de celui de Pierre Grosse
ont même été évacués sur Fontgillarde.
Que ce soit à Névache ou dans le
Queyras, la solidarité et l'entraide entre les habitants ont été
exemplaires et le bilan humain est surtout marqué par cette grande cohésion
de la population.
En haute Maurienne, les chutes de
neige ont également été énormes et Bonneval-sur-Arc et Bessans
ont été isolés plusieurs jours ou seulement reliés par convoi. En Ubaye,
le secteur de Larche, dans l'axe du flux humide le long du massif
des Ténibres, a été particulièrement touché. Si l'accès au col a vite été
rétabli côté français, il est resté fermé du 14 décembre au 22 janvier 2009 côté italien
où il a fallu faire descendre plus de 40 avalanches et dégager au
bulldozer la neige qui avait charrié arbres et rochers.
Dans la vallée de la Tinée, les
fortes chutes sur les sommets des Ténibres, ont provoqués des
avalanches colossales qui ont coupé les routes en fond de vallée et
même détruit partiellement le quartier de Cialancier au hameau de
la Blache à Saint-Étienne-de-Tinée. Les anciens avaient
enregistré l'occurrence d'avalanche en ce lieu puisque son nom signifie
avalanche. Évidemment l'accès à Isola 2000 a lui aussi été coupé
pendant plusieurs jours.
De nouvelles fortes chutes de neige sont survenues fin
janvier 2009 et la route d'accès à Névache a à nouveau dû être fermée le
samedi 24 janvier. Après des déclenchements préventifs à l'aide d'explosifs
largués d'hélicoptères sur les Crêtes de Pécé et du Guion, la
route a pu être rouverte le dimanche dans la matinée.
Pour comprendre le phénomène : Météorologie du Briançonnais
La météorologie du Briançonnais est très marquée par
les phénomènes complexes de l'effet
de fœhn et de retour
d'est quand souffle la lombarde.
Le fœhn désigne le vent violent qui
s'assèche et se réchauffe sur le sud du Valais en Suisse. Ce
terme suisse est devenu caractéristique du phénomène d'effet
de fœhn dans lequel un vent frais et humide
devient chaud et sec au passage d'un relief. En amont, l'air est
soulevé, se refroidit et se condense, un nuage se crée. Il pleut sur le
versant au vent, la quantité d'eau dans le nuage diminue, de la chaleur se
libère. De l'autre côté de la montagne, sous le vent, l'air redescend, plus
sec, les gouttelettes d'eau s'évaporent et le nuage disparaît, avec un
réchauffement notable dans une atmosphère pénible.
La lombarde désigne le vent d'est qui
souffle depuis la Lombardie tout le long de la façade est des Alpes
françaises depuis les Alpes Maritimes à la haute Maurienne. La
lombarde est un vent qui peut être doux et humide ou froid et humide.
Elle s'accompagne d'un effet de fœhn au passage de la chaîne
frontalière.
Le phénomène de lombarde froide a été compris tardivement en
Briançonnais. En Maurienne, elle se réchauffe vite : 1 degré par
100 mètres d'altitude (air sec oblige) soit 10 degré en 1000 mètres de
dénivelée. On retrouve le phénomène à Vizille où on peut avoir 18 ou
20 degrés et le Col du Lautaret bloqué par la neige.
Retour d'est
Les retours d'est sont complexes selon que le
flux en altitude est de nord-est (comme début janvier 2009), d'est, de
sud-est (comme en décembre 2008), de sud ou de sud-ouest.
Le retour d'est en flux du sud-est est
lié à la présence d'une dépression centrée sur le Golfe de Gênes qui
provoque une perturbation apportant de fortes pluies sur le Piémont :
vent du sud humide sur la frontière nord entre l'Italie et la
Suisse (d'où les énormes quantités de neige également tombées sur le
Simplon) ; vent qui tourne à l'est, la lombarde, (dans le sens
inverse des aiguilles d'une montre) le long de la frontière entre la France
et l'Italie (d'où les fortes précipitations d'Isola 2000 à
Bonneval-sur-Arc en passant par le Queyras et Montgenèvre).
La perturbation peut faire du sur-place durant plusieurs jours en se
réalimentant constamment sur la Méditerranée et en tourbillonnant d'est en
ouest. Au nord, le vent humide devient le fœhn sur le Valais
suisse qui s'échauffe et s'assèche. A l'est, sur le Briançonnais et
au-delà, on a un phénomène identique, un effet de fœhn d'est ou
lombarde fœhnée.
Le cas du flux du sud à sud-ouest donne à
contrario de fortes précipitations en Durance avec une lombarde
froide en basse couche qui permet aux précipitations de se produire sous
forme de neige, même si l'isotherme 0°C est très élevé sur les Préalpes
(c'est la raison du bon enneigement des stations de haute Durance).
Donc il est impossible de donner la limite
d'un retour d'est. Il est arrivé, lorsque le flux s'oriente au nord-est, que
les pluies envahissent totalement la suisse et retour sur le Grésivaudan.
Plusieurs cas de ce genre se sont produits avec des inondations près de
Grenoble et aussi en Suisse.
Situation du 16 décembre 2008
La situation du 16
décembre 2008 correspond à une configuration peu différente de celle de fin
mai 2008 ou encore de juin 1957. Une situation que l'on ne rencontre que 2 à
3 fois par siècle, dont 2 fois en 2008 ! C'est-à-dire, un puissant flux de sud-est
sur l'Italie. C'est le pire : les précipitations sont énormes sur la
frontière Italienne avec assèchement rapide derrière (Cf. photo satellite :
l'amas nuageux est important de la plaine du Pô aux Alpes
frontalières, par contre on distingue la Savoie et les basses vallées
de la Maurienne et de la Tarentaise, assèchement oblige). Ce
sont des situations qui évoluent lentement, donc les cumuls peuvent devenir
très importants. Les précipitations ont eu lieu par
vent violent provoqué par une espèce de dorsale au niveau de la zone
frontalière. Cette courbure légèrement anticyclonique entraîne des
accélérations phénoménales des vents. Ceux-ci accroissent bien sûr les
transports et les accumulations de neige et donc les risques d'avalanche.
Ces avalanches, de poudreuse au départ, ont été de grande ampleur,
parcourant la totalité des versants jusqu'en vallée avec des accumulations
de plusieurs mètres. Au delà de la zone frontalière,
la lombarde a vite asséché la masse
d'air, d'ou le ciel clair et l'absence de précipitations à l'ouest.
Effet de fœhn
en Briançonnais
Le Briançonnais bénéficie d'un climat très sec du fait
de sa protection par les reliefs qui génèrent plusieurs type d'effet
de fœhn :
L'effet de fœhn
en régime de
nord-ouest et d'ouest qui caractérise le
Briançonnais. dans lequel la masse d'air doit
franchir les Préalpes (Vercors, Chartreuse, très
arrosés), le Belledonne (aussi très arrosé), l'ensemble Oisans
Grandes Rousses (déjà beaucoup moins arrosé) et la Vanoise (qui
protège la partie nord du Briançonnais). Sur la
photo, on distingue les nuages qui s'accumulent sur
les Alpes du nord et le beau temps en Durance et en
Méditerranée. Le climat méditerranéen a une bonne composante d'effet
de fœhn par nord-ouest : faibles pluies l'été et très forts
ensoleillement avec températures élevées. (L'anticyclone des Açores
poussant vers le centre de la France, des flux léger de nord-ouest
s'organisent ainsi à la belle saison !). C'est la situation qui a prévalu en
2007 et provoqué une sécheresse extrême sur les Alpes du sud et les régions
méditerranéennes, alors que les Alpes du nord ont été bien arrosées. Inversement en 2008, on a connu une circulation
méditerranéenne active et aussi un peu atlantique. Les Hautes Alpes
ont bien profité en humidité de cette combinaison Atlantique-Méditerranée.
L'effet de fœhn
en régime d'est et sud-est, déjà bien décrit, dans
lequel la masse d'air doit franchir la chaîne frontalière (est) et le
Parpaillon (sud-est).
En régime de sud-ouest (humide), les Hautes-Alpes sont
la partie au vent, donc arrosée, de l'effet de fœhn.
Mais la haute Durance, abritée derrière le sud des
Écrins est déjà
moins arrosée (Rentre également dans ce domaine le flux d'ouest de basse
latitude).
Article rédigé en collaboration avec Alain Morel,
la Salle les Alpes,
meteo05.sepcs.fr
Photos et documents de Thomas Bonnet et
Alain Morel